Le vrai choc dans mes souvenirs d’enfance, c’était le jour où ma tante Marie est venue nous visiter après quelques semaines d’absence. Je cours
Le vrai choc dans mes souvenirs d’enfance, c’était le jour où ma tante Marie est venue nous visiter après quelques semaines d’absence. Je cours pour lui ouvrir la porte, reconnaissant sa façon d’utiliser la sonnette. La sonnerie, sous ses doigts change de mélodie pour devenir rythmée, saccadée et haletante.
Et moi, comme à chaque fois, je traverse le couloir de l’entrée en courant et en chantonnant « tante Marie », « tante Marie » accompagnant ses sonneries répétées et impatientes. J’ouvre la porte avec force tout en me préparant à me jeter dans ses bras comme d’habitude. Mais dès que mes yeux tombent sur son visage et que je vois ses nouvelles lunettes, je pousse un cri strident, long et sans fin, comme pour me protéger à jamais de la peur que cette vue m’avait créée.
Tétanisée, incapable de bouger ; ma mère vint à mon secours, me ramassa et me pris dans ses bras, tout en invitant ma tante à entrer. Ma pauvre tante, qui était restée immobile et perplexe, ne sachant comment réagir à mon comportement.
Ma mère a rapidement compris : « tu as fait peur à la petite avec ton œil de chameau, lui dit-elle. » Et moi, sanglotant et enfonçant ma tête dans la poitrine de ma mère, je répétais : « son œil, son œil ! »
Dans le séjour, où nous nous sommes installées, ma mère m’expliqua enfin que ma tante s’était fait opérée de l’œil pour une maladie de vue avec un nom bizarre « cataracte ». Ses lunettes faisaient paraître son œil plus grand. Cela m’importait peu de comprendre les raisons de ce changement de l’œil de ma tante Marie. Pour moi, son œil gauche était terrible à voir sous ses nouvelles lunettes, et j’étais incapable de porter mon regard sur elle : « Même pas un œil de chameau, plutôt d’une vache, me disais-je ».Ce jour-là, « tante Marie » comme je la connaissais, a quitté mon enfance à plus jamais.