Lorsque l’anthropologue américaine Susan Schaefer Davis a visité pour la première fois la campagne (Rif) du Maroc dans les années 1960, dans le cadre
Lorsque l’anthropologue américaine Susan Schaefer Davis a visité pour la première fois la campagne (Rif) du Maroc dans les années 1960, dans le cadre de son travail comme bénévole avec le « American Peace Corps », il ne lui est pas venu à l’esprit que sa vie pendant plus d’un demi-siècle, serait liée à l’expérience des femmes marocaines qui vivent avec leurs familles de la fabrication de tapis faits main.
Son objectif était alors de permettre aux femmes de gérer leurs vies, de nourrir leurs enfants de manière saine et de les former à transmettre leurs compétences de tapissières aux jeunes générations. Elle est tombée amoureuse du Maroc, a appris la langue et est devenue ambassadrice de l’artisanes aux États-Unis et dans le monde. Elle a également joué un rôle de guide pour ceux qui souhaitaient visiter ces régions et en apprendre davantage sur l’artisanat de tapis avec son esthétique distingué et ses techniques difficiles.
Interviewée par Paula El Khoury
Dans une interview accordée à Al-Fanar Media, Dr Davis qui s’est tournée vers l’anthropologie après avoir obtenu un diplôme universitaire en psychologie, nous explique qu’elle voulait comprendre la relation entre la vie des tisserandes de tapis et leur métier. Elle se réfère à ce qu’elle a mentionné dans son récent livre intitulé : Les femmes artisanes au Maroc : leurs histoires et leurs vies où elle écrit : « C’est l’expérience qui m’a transformée en anthropologue. Je voulais comprendre comment ces femmes joviales et combattives sont dépeintes comme des êtres faibles et soumis, comme j’ai toujours lu à leur sujet.
« Vos yeux sont votre unité de mesure »
Après que Davis ait voulu de leur apprendre à utiliser le dessin pour faciliter le tissage, elle a découvert qu’elles n’en avaient pas besoin. L’une d’elles a vu une jeune femme de l’équipe américaine portant une belle robe, et est revenue le lendemain avec une réplique de la robe de sa propre fabrication. La scientifique américaine dit qu’elle a compris, à partir de ce moment, une autre chose à propos de leurs compétences artisanales, que les tisserands résument avec cette phrase : « Votre œil est votre unité de mesure. » Davis nous a cité le dicton avec un gracieux marocain dialectal qu’elle a appris avec ces tisserandes.
Dans son dernier livre l’auteure cite une de ces femmes lui disant : « Ce sont les yeux et le désir qui enseignent aux gens à faire les choses. »
Chercheuse et cybercommerçante
Davis a lancé un projet de promotion des tapis faits par ces femmes en 1994, en créant un site Web à cet effet. Elle achetait des tapis pour les vendre plus tard, et à ce sujet elle dit : « j’étais probablement le premier cybercommerçant ».
À partir de 2001, elle a développé son idée et son site web, où elle a commencé à vendre des tapis directement des tisserandes aux clients, tout en s’assurant que les acheteurs supportent toutes les dépenses supplémentaires. Elle explique que, grâce à son travail bénévole, elle a essayé d’atteindre le prix qui était fixé par les tisserandes elles-mêmes. Selon Davis, cela lui a coûté « certaines dépenses personnelles : « par exemple, le site était à mes propres frais et je profitais des compétences de mon mari dans le domaine de la programmation. La majeure partie de ce que j’ai compensé, c’est la réduction d’impôt parce que c’était un travail bénévole. »
Hors de l’ordinaire
L’anthropologue américaine admet que son initiative pourrait être vu comme surprenante dans le milieu universitaire, et elle dit en plaisantant que tout le monde autour d’elle était intrigué par son travail, à tel point que son mari avait l’habitude de plaisanter quand certaines personnes l’interrogent sur ce qu’elle fait en disant : « Tout ce que je sais, c’est que les amies américaines de Susan rencontrent les amies marocaines de Susan. »
Sa relation avec ces femmes s’est développée après qu’elle a obtenu son doctorat en anthropologie. Elle a enseigné pendant dix ans à l’université, mais a préféré en fin du compte être sur le terrain avec les tisserandes.
Au fil du temps, elle est devenue consultante auprès de la Banque mondiale, du American Peace Corps et de l’USAID, et a contribué à des projets de microcrédit, à l’éducation des filles et des jeunes au Maroc et dans d’autres pays arabes, ainsi qu’à la création de coopératives de femmes. « C’était amusant comment cela a donné un vrai sens à ma vie » dit-elle.
Dans son premier livre, Patience and Power : Women’s Lives in a Moroccan Village, Davis aborde la complexité de l’artisanat féminin, même qu’il semble pour l’observateur du travail fini. Elle souligne par exemple, combien il était étonnant pour elle de voir comment les femmes peuvent faire un design sur les tapis sans suivre un dessin, sachant que les femmes jouent avec les motifs à chaque fois qu’on leur commande un modèle précis de tapis. Si le motif est le même, il a une apparence différente à chaque fois portant ainsi la signature de chaque tisserande, ce qui impressionne les clients par rapport à la production industrielle standardisée.
Elle ajoute que les artisanes peuvent coudre à l’arrière des tapis, et pourtant le dessin sur le devant apparaît proportionné et beau. Elles y passent des heures de travail acharnés, courbées tout au long de la journée.
Au cours de toutes ces années, Davis a contribué à mettre en évidence la valeur du travail des femmes avec lesquelles elle a travaillé et a pu, dans le respect de la culture et des coutumes de la communauté locale sans provoquer les hommes de ces villages reculés et conservateurs. Elle dit qu’elle a compris que les femmes ne peuvent pas vendre leurs tapis par elles-mêmes en raison de restrictions sociales sur leurs mouvements, ou les difficultés de leur présence sur le marché populaire et touristique, mais surtout à cause de leur manque de temps pour la vente en direct.
Sagesse féminine
Quand je lui ai demandais comment elle gérait cette situation, elle a dit qu’elle avait appris comment faire par les femmes elles-mêmes. Elle m’a raconté une histoire qu’elle a documentée dans son dernier livre : « quand j’ai remarqué que les hommes détient tout l’argent de vente et ne donnent aux femmes que ce qu’il faut pour les dépenses journalières, j’ai demandé à l’une d’elle si elle me permettait d’intervenir pour convaincre son mari de lui donner un pourcentage de ce qu’il gagne en vendant chaque tapis qu’elle fabrique, elle m’a répondu : « il n’acceptera pas si vous lui demandez cela directement, vous pouvez lui suggérer que plus il me donne de l’argent, plus je serai enthousiaste à l’idée de fabriquer des tapis plus rapidement, et il pourra ainsi gagner plus d’argent et plus vite. “
Elle a ajouté : « Cela a attiré mon attention sur la capacité de ces femmes à négocier pour obtenir certains de leurs droits, malgré les difficultés imposées non seulement par le mari, mais aussi par la société environnante. »
Elle conclut en disant : « Je ne sais pas à quel point mon site web a aidé les tisserands, mais j’ai découvert qu’il plaît à un certain type de clients, à ceux et celles qui visitent régulièrement le Maroc et qui aiment le style unique des tapis que je propose. Ils trouvent souvent l’asymétrie attrayante. Pour ceux qui sont déjà allés au Maroc, ils veulent garder un souvenir de leur voyage. Beaucoup veulent aussi entendre les histoires des tisserandes et acheter consciemment pour les soutenir plutôt que de se tourner vers les marchands.
Voici quelques messages que Mme Davis a reçu de ses clientes :
« Si vous voyez Jamila, vous pouvez lui dire de ma part qu’elle est une véritable artiste ; son sens de l’équilibre et de proportion exprimé dans les couleurs et la composition du tapis que j’ai acheté rend toute ma pièce calme et chaleureuse. »
« Diriez-vous peut-être que je suis folle, mais quand j’ai ouvert la boîte avec laquelle j’ai reçu le tapis, elle sentait la fumée de bois lui ajoutant du charme. La première fois que j’ai traversé mon salon tard le soir j’ai vu comme des étoiles qui brillait sous mes pieds, j’étais enchantée ! »
« Je reviens tout juste d’un voyage au Maroc et j’ai été consterné par le prix exorbitant de mêmes articles que vous proposez, évidemment à cause des intermédiaires qui gagnent tout l’argent. Je suis ravie de constater que vous vous assurez que ces femmes qui fabriquent les tapis sont celles qui reçoivent un revenu bien mérité de leur travail. »